Souvenirs…

Source : https://www.facebook.com/ot.joigny/posts/1747959022028618

À Saint-Martin d’Ordon, en 1925, Ernestine-Célestine et Ernest regardent l’objectif du photographe. Ils ont tenu longtemps l’auberge qui se trouvait sur la place, presque à l’angle de la route qui mène à Verlin, au chevet de l’église.

Photo – collection privée

Saint-Martin d’Ordon est un village rural composé de nombreux hameaux. Longtemps terre des seigneurs de Cudot, à la croisée de plusieurs chemins, le village-centre est bâti autour de l’église Saint-Martin, à une seule nef. Des foires animent le village plusieurs fois dans l’année, les artisans s’y sont installés et les hameaux sont avant tout habités de paysans en polyculture dont la vigne et les céréales.

Ernestine-Célestine Bertrand, née ici en 1857, est issue d’une famille de marchands de Véron. Dominique Grenet, un de ses cousins a été maire de Joigny et conseiller général.

Son grand-père s’est installé à Saint-Martin après son mariage. La famille s’y plaît, le commerce est actif justement à cause du croisement des routes. Elle grandit en cette 2e moitié du 19 siècle agité, avec les changements de régime politique, l’amélioration des moyens de communications et les nouvelles cultures comme la pomme de terre.

De son côté, Ernest Picouet, né aussi à Saint-Martin d’Ordon en 1854, est fils de laboureurs dont on trouve les ancêtres depuis au moins le 16e s dans le triangle de Saint-Martin/Piffonds/Bussy-le-Repos. L’agitation du 19e s., il connaît car dans la famille, on écoute aux veillées les récits de son grand-père, héros du village, Claude Picouet, soldat enrôlé du 4ème régiment de voltigeurs de l’Armée Napoléonienne, qui a fait 2 campagnes 1809-1812, 1813-1815, a visité, par la force des choses militaires, d’autres pays d’Europe, et qui, en tant que survivant, sous Napoléon III, recevra la médaille de Sainte Hélène. Et puis c’est aussi la guerre des 1870-71 et les combats dans l’Yonne.
Ils se marient à l’église du village en 1878 et ont trois enfants, Edmond, Alice et Alfred. Ils tiennent une des deux auberges et voient la crise du phylloxéra 5 ans après leur union provoquer le début de l’exode rural. Les industries se multiplient et embauchent les jeunes comme à Saint-Julien-du-Sault, Sens, Joigny et plus loin, Montargis.

Tous les deux achètent au village et vont régulièrement pour les achats plus importants à Saint-Julien-du-Sault. Le pèlerinage annuel à Cudot qui a pris de l’importance depuis la canonisation de sainte Alpais juste avant leur mariage et celui de Verlin apportent aussi de la clientèle.
Leurs trois enfants se marient et quittent Saint-Martin d’Ordon : Edmond part à Paris avant d’acheter le café du Pont très bien placé à Joigny, Alice épouse un agriculteur à Villefranche-Saint-Phal et Alfred acquiert un café à Cheny avec sa femme.

Ils travaillent sans relâche, et en 1914, les bruits de guerre les effraient mais il faut servir la patrie et les deux fils partent de Montargis avec d’autres amis du village dans le 4e régiment d’infanterie. Beaucoup ne reviendront pas, et ils pleureront à chaque fois qu’un jeune tombera au combat. L’année 1918 sera pour eux la pire car c’est leur 2e fils qui est porté disparu dans l’Oise en mars. Quand le tailleur de pierre installera le monument aux morts juste devant leur café et gravera le nom d’Alfred, ce sera une épreuve. Ils connaîtront leurs petites-filles et leur petit-fils, grande joie pour eux. Ils revendent l‘auberge et finissent leurs jours avec leur jardin, et la vie au village. Les voilà acceptant de se faire photographier dans leur quotidien, sans fioriture, sans les habits du dimanche portés quand on va poser chez le photographe de Saint-Julien-du-Sault. Elle porte la coiffe encore si pratique pour se protéger du soleil au jardin et un tablier sur sa jupe et lui, avec sa moustache, pas taillée à la mode, a son large pantalon tenu par son ceinturon. Un couple d’ici, simples ruraux icaunais.